Mayo 05, 2004

De mano ajena 6

A Bagdad, d'autres témoignages évoquent des tortures "bien pires"
LE MONDE | 03.05.04 | 13h21 • MIS A JOUR LE 03.05.04 | 15h58
A 8 heures par e-mailBagdad de notre envoyée spéciale

C'est presque avec soulagement que beaucoup de Bagdadis ont accueilli la publication des photos de prisonniers torturés dans la prison d'Abou Ghraib. "Tous les Irakiens le savaient, maintenant, l'Occident sera obligé de le savoir aussi", dit Omar, un ancien militaire sunnite de la capitale. Durant deux jours, les télévisions satellitaires arabes, Al-Jazira en tête, - les plus regardées en Irak - ont ouvert par ces images leurs bulletins d'information, largement consacrés aux réactions officielles qu'elles ont provoquées.

Al-Jazira n'a pas manqué de montrer celle d'un des membres du Conseil intérimaire de gouvernement (CIG, installé par les Américains), celle du chef kurde Talabani. Après avoir dénoncé, un peu formellement, ces "actes indignes", il a précisé que "pour les Irakiens, qui ont connu bien pire sous Saddam -Hussein-, cela n'est pas très important". Chacun, en Irak, en est bien conscient, mais cette phrase prononcée à l'écran - qui plus est, avec le sourire - a provoqué un grave malaise pour les uns, la fureur pour des autres, partisans de la "résistance" en Irak.

L'épisode a mis à nu le dangereux fossé qui s'est élargi, depuis "l'insurrection d'avril" des sunnites arabes et des partisans chiites de Moqtada Sadr, entre ces derniers et les Kurdes, seul grand groupe resté en bloc allié des Américains en Irak.

TORTURE SYSTÉMATIQUE

Certains commentaires rapportés de la rue à Bagdad sont désabusés : "Quoi attendre d'autres des Américains ?" "C'est ça leur civilisation !" Les "élites" plus ou moins pro-américaines expliquent, elles, que si les réactions en Irak ne sont pas plus violentes, "c'est parce que tout le monde sait aussi que les médias arabes, et Al-Jazira en particulier, se sont bien gardés de dénoncer, en leur temps, les tortures autrement plus terribles pratiquées dans les prisons de Saddam", comme le dit un professeur d'Université chiite. Autre type de réaction, celui de sunnites de la province d'Al-Anbar, surtout, qui s'indignent du fait que la dénonciation de ces sévices pratiqués dans la vaste prison d'Abou Ghraib masque des tortures "bien pires" pratiquées dans les nombreux centres de tri et d'interrogatoires préliminaires.

De nombreux témoignages concordent, depuis au moins sept mois, pour dire que les détenus sont systématiquement maltraités, frappés ou torturés, réellement ou par simulacre, dans ces centres où ils sont gardés de deux à dix jours avant d'être dirigés sur Abou Ghraib ou d'autres prisons.

"Le pire, c'est à Baghdadi", un centre de détention situé entre Ramadi et Hit, plus à l'ouest, entend-on souvent. "Beaucoup y sont morts et des corps torturés ont été rendus aux familles, ou jetés sur les routes", assure ainsi un membre du Parti islamique - sunnite "modéré" - de Fallouja. Il se souvient du nom d'un seul Irakien ainsi martyrisé - Nafe'Khalaf Ghadban -, mais chacun autour de lui opine à ses dires.

Cheikh Jalal, 60 ans, une des autorités religieuses les plus respectées de Fallouja, a été relâché jeudi 28 avril - dans le cadre des accords passés avec ses insurgés - de la prison d'Abou Ghraib, où il fut détenu sept mois. Ce "soufi", qui prêche aussi fermement la légitimité de la résistance que la nécessité du pardon, dit que lui n'a jamais été frappé, contrairement à son jeune fils : "On lui a cassé des chaises sur le dos, il a été relâché au bout de dix jours, mais il souffre encore de ces coups."

Il dit aussi que beaucoup de ses compagnons de détention ont été "brutalement frappés, humiliés, ramenés nus des interrogatoires" à leur tente de détention, où ils avaient "tout le temps faim et soif, alors que les détenus criminels mangeaient comme dans un palais". Interrogé pour savoir s'il "est vrai que les Américains arrachent les ongles ?", il répond qu'il ne le pense pas - "c'est sous Saddam qu'ils faisaient ça". Il n'a pas vu lui-même les femmes "que les Américains arrêtent quand ils ne trouvent pas leurs maris". Mais il est sûr qu'il s'en trouve, à Abou Ghreib, "dans les pires cellules, souterraines et sans lumière".

Sophie Shihab

Escrito por Francisco Bonal a las Mayo 5, 2004 10:04 AM
Comentarios
Escribir un comentario









¿Recordar informacion personal?